La jeune Princesse Impératrice Troïka referma lentement la porte de sa chambre et poussa un soupir silencieux : la journée avait été harrassante. Pourtant, elle s'attendait à ces événements depuis plusieurs jours déjà, mais sa préparation psychique s'était révélée insuffisante.
Elle ôta la petite couronne de cristal qui ceignait son front soucieux et eut une pensée chaleureuse vers le peuple pingouin qui lui avait apporté son soutien à peine quelques heures avant l'apocalypse. Elle avait découvert, non sans étonnement, que ces petits êtres qui lui semblaient de prime abord bien inoffensifs, étaient en réalités des êtres doués d'une intelligence hors du commun et d'un extraordinaire pouvoir de télépathie. Quelle surprise d'entendre leurs petites voix résonner dans son crâne alors qu'ils se présentaient à elle, déchargeant en même temps leur précieuse livraison tout en surveillant du coin de l'oeil certains Dragons qui semblaient déjà se lécher les babines...
Il faut préciser que l'accueil qui avait été réservé à son premier dragon postal Collissimo n'était pas passé inaperçu et la nouvelle qu'il avait pu déguster quelques pingouins diplomates "volontaires" s'était répandue dans la petite communauté d'Arya Svit Kona comme une traînée de poudre... Heureusement, son propre pouvoir de télépathie avait permis à Troïka de rapidement rappeler à l'ordre les estomacs de ses Dragons. Cependant, son pouvoir de télépathe à elle se limitait à communiquer par la pensée avec ses Sujets, et c'est donc dans sa langue orale et maternelle qu'elle avait tenue la conversation avec les pingouins de l'Empereur FireFly.
Puis, alors que ses invités étaient tous repartis, sains et saufs, Dragon Paracétamol, le médecin en chef, l'avait avertie de l'apparition d'une soudaine maladie minière. Inquiète pour ses sujets qui travaillaient si dur au fond des mines, toujous plus profondes, la jeune impératrice avait dû quitter son poste avant d'avoir eu le temps de répartir sur ses colonies la totalité des ressources livrées.
C'est alors que, surgissant de l'hyperespace, aussi rapide et destructeur qu'un pet de Dragon dans une mine de métane, la flotte de Bozo le Clown l'avait attaquée. Elle pensait sa défense conséquente. Elle se trompait...
Troïka ouvrit la large fenêtre de sa chambre royale. Une âcre odeur de fumée picota ses narines. Des larmes, qu'elle aurait aimé être simplement la conséquence d'une irritation dûe à cette atmosphère chaotique, roulèrent silencieusement sur ses joues. Elle les essuya d'un geste rageur, refusant de céder aussi facilement après une seule bataille.
- Bozo, murmura-t-elle d'une voix sourde, Bozo je te jure que tous les univers ne seront pas assez vastes pour que tu échappes un jour à ma vengeance...
Un terrible hurlement empli de douleur s'éleva soudainement non loin du Palais. Un hurlement de dragonne, de plus en plus aigu, déchirant, insupportable. Encore un. Combien de ces cris de désespoir avait-elle entendu aujourd'hui? Ses Dragonnes avaient perdu leurs compagnons ou leurs enfants, et elles hurlaient depuis des heures en retrouvant leurs corps sous les décombres.
Le hurlement s'amplifia encore et Troïka frissonna. Elle ferma les yeux et ouvrit ses pensées vers cette dragonne dont la souffrance dépassait les mots. Son coeur se serra. Elle aurait aimé lui dire qu'elle était auprès d'elle, mais les Dragons étaient bien trop fiers pour accepter l'aide d'une humaine, même si cette dernière était leur impératrice. Elle resta donc silencieusement à ses côtés, prenant sa part, aussi discrètement que possible, de la douleur aigue qui brisait le coeur de la dracoïde. Puis, sans crier gare, alors que la jeune princesse pensait que cette longue plainte allait se muer en tendres gémissements avant de s'apaiser peu à peu, le cri redoubla de violence. Une haine, profonde, enflammée, inextinguible, avait surgi du plus profond de la dragonne.
Presque immédiatement, d'autres terrifiants hurlements s'élevèrent un peu partout dans la capitale, heurtant les hautes murailles du Palais, faisant trembler le sol plus sûrement qu'un séïsme. Fureur. Mort. Les Dragons réclamaient leur dû.
Troïka referma son esprit, laissant ses oreilles être le seul fil conducteur des terribles pensées meurtrières qui animaient son peuple. Au loin, un soleil rouge déclinait sur les hautes montagnes minières, dans un dégradé de couleur d'une infinie délicatesse. Prenant une large respiration, Troika rejeta la tête en arrière et laissa sa voix, emplie de colère, se joindre au choeur terrible des dragons.