Des cris. La jeune Impératrice se réveilla en sursaut. Elle s'était assoupie, les bras croisés sur son long bureau de verre, sur une montagne de papiers. Rapports d'exploitation minière. Rapport d'espionnage. La Tour de contrôle semblait particulièrement vouloir la harceler en lui envoyant en plusieurs exemplaires le détail très exact de toutes les sondes d'espionnage qui circulaient autour de ses planètes.
" D'fois qu'un d'ces bestiaux d'dragons d'guerre l'en bouffe un bout", lui avait élégamment expliqué le sous-fifre de la tour à qui elle avait osé se plaindre de ce surcroît inutile de papier. Et l'écosystème, bordel, qui allait veiller sur les quelques arbres maigrichons qui tentaient encore de pousser sur Arya Svit Kona?
Troïka se secoua. Les pas et les cris se rapprochaient rapidement. Des pas lourds de dragons, à n'en pas douter. Qui d'autre d'ailleurs pouvait-elle espérer rencontrer sur cette planète?!
Rapidement, elle remit sa couronne de cristal en place et plaqua une mèche rebelle dessous à l'aide de sa main préalablement léchée. Oui, ça ne se faisait pas, mais le protocole...
Elle n'eut qu'un quart de dixième de seconde pour attraper au hasard l'un des nombreux rapport et froncer savamment les sourcils comme si elle le consultait depuis des heures déjà. La porte s'ouvrit à la volée. Baveur, le chef rapporteur des dragons, entra sans aucune autre façon. Le regard réprobateur que lui asséna son Impératrice l'arrêta cependant sur place. Il recula maladroitement d'une patte sur l'autre jusqu'au seuil de la porte qu'il avait déjà largement franchi, visiblement gêné par sa longue queue à piquants qui oscillait dans le sens inverse de la marche et battait le chambranle de la porte. Troïka retint un sourire moqueur et conserva son air grave.
- Dragon! l'apostropha-t-elle abruptement, de quel droit pénètres-tu ici sans y être invité?!
Un sourd grondement monta de la gorge de l'animal qui ravalait apparemment difficilement sa fierté heurtée.
- Madame, commença-t-il, je suis porteur d'une heureuse nouvelle qui m'a fait quelque peu oublier le protocole tellement j'étais pressé de vous l'annoncer...
Le "Madame" remettait gentillement l'impératrice à son rang d'humaine, mais suite à l'affront précédent, Troïka jugea bon de ne pas lui en tenir rigueur.
- Et bien à présent que tu m'as dérangée, je t'écoute, fit-elle en reposant la feuille de rapport qu'elle tenait à la main.
Elle s'aperçut alors avec horreur qu'elle avait tenu le rapport à l'envers. Elle masqua de son mieux sa confusion et espéra que le Dragon ne s'en était pas aperçu...
Baveur se permit d'entrer de nouveau plus avant dans la pièce, un sourire sur les lèvres (ce qui lui donnait non pas un air amical mais plutôt carnassier).
- Une flotte ennemie, provenant de la planète Tulipa (2:297:5), et appartenant à l'Empereur "ddt", a envoyé des sondes sur notre planète. Nous les avons détruites toutes les 5.
La jeune Impératrice perçut seulement alors les cris de liesse qui retentissaient en ville. Son peuple semblait avoir retrouver un peu de joie après la tragédie des jours passés. Cette victoire était une bien maigre compensation, mais elle se devait de jouer le jeu pour aider les Dragons à surmonter leur peine.
- Je vous félicite, Baveur, Dragon en chef des rapporteurs, de la vélocité de votre rapport qui apporte un peu de joie en mon coeur. J'aimerais vous charger de trouver quels étaient les dragons en poste aux batteries de défense et de les récompenser largement pour leurs tirs réussis. A présent, vous pouvez disposer, finit-elle dans un sourire.
- Oui, ô mon Impératrice, répondit Baveur en exécutant une belle révérence. Puis il sortit, non pas à reculons comme l'Ancien Code le prévoyait, mais en faisant un demi-tour habile où sa queue ne heurta aucun des précieux objets de la pièce.
La porte se referma lentement. Troïka songea qu'elle devait envoyer immédiatement un recycleur. Mais elle réalisa avec amertume qu'ils avaient tous été détruits lors de la dernière attaque. Le seul qui lui restait ne serait pas de retour avant la nuit, peut-être trop tard...
Quelques cris fusaient encore dans les rues de la ville. L'Impératrice ouvrit en grand les fenêtres de son bureau pour laisser les sons de joie monter jusqu'à elle. Pourtant, au fond de son coeur, elle savait que le Peuple Dragon, tout comme elle, n'oublierait pas Bozo le Clown...
